
Un Youtubeur accuse les ventes records de jeux vidéo d’être des fraudes
La collection de jeux vidéo est devenue un sport de riche, en tout cas si vous voulez rentrer dans la cour des grands. C’est ce qu’on pourrait définitivement se dire en voyant la courbe affolante qui n’en finit plus de monter, quand il s’agit des sommes investies dans des jeux scellés et surtout, évalués. Des soi-disant records n’en finissent plus de tomber chaque mois, au point que cela a alerté quelques collectionneurs et influenceurs du milieu, qui commencent à grandement douter de la légitimité de ces records et donc directement, de Heritage Auctions et Wata Games.
Crédits images : Heritage Auctions
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Un marché juteux
Qu’il pourrait y avoir un souci autour de ces fameux records cela ne date pas d’hier, le problème ayant régulièrement été pointé du doigt par des collectionneurs et cela, depuis des années. On peut prendre l’exemple le plus parlant, avec un exemplaire scellé de Super Mario Bros. qui a battu un premier record en 2017, en se vendant à 30 000 $US. Puis en février 2019, pour 100 000 $US, alors que ce mois-ci, c’est un record de pas loin de 2 millions de dollars qui a été atteint pour une copie similaire de Super Mario Bros.
Crédit image : Heritage Auctions
Et presque à chaque fois qu’un « nouveau record » est établi, il y a des communiqués de presse qui y sont liés qui font l’éloge de la vente, ainsi que des intervenants. Le souci étant que ce sont principalement toujours Heritage Auctions et Wata Games qui y sont cités, puisque ce sont les deux sociétés qui œuvrent autour de ces ventes.
Dans un premier temps, on aurait pu se dire que ce sont encore les collectionneurs de jeux vidéo qui voient le mal partout, comme cela peut déjà être le cas sur bon nombre de forums ou réseaux sociaux. Les intéressés aimant souvent brandir le drapeau de la passion avant tout.
Le manque de transparence
En réalité non, car nous avions déjà pu récemment vous pointer du doigt des détails intrigants autour des records annoncés par Heritage Auctions, comme des chiffres volontairement gonflés. Cela aurait pu en rester à ce stade, mais c’était sans compter sur le Youtubeur et speedrunner Karl Jobst, qui au travers d’une longue vidéo de presque une heure, met en avant les pratiques de Heritage Auctions, ainsi que les éventuels conflits d’intérêt qu’il peut y avoir entre eux et Wata Games.
Car il faut bien rappeler que le système mis actuellement en place pour évaluer des jeux vidéo, cela génère beaucoup d’argent. Heritage Auctions prend des commissions sur les ventes à hauteur de 20% sur l’enchère finale, ainsi que 5 à 10% auprès du vendeur. De son côté, Wata Games fait payer l’évaluation de l’objet, tout en prenant une commission de 2% selon la “valeur estimée” du jeu sur le marché. Et il ne faut pas seulement avoir en ligne de mire les jeux vendus à prix record, à coup de millions, car derrière cela il y a des centaines de plus petites ventes, pour des jeux semblables.
Quand Heritage Auctions annonce la vente d’un Super Mario Bros. à 1.5 million$, il y a forcément tout un tas de collectionneurs qui vont sortir leur exemplaire de leur collection, pour le faire évaluer par Wata Games et peut-être ensuite le vendre sur Heritage Auctions. On comprend donc facilement pourquoi les deux sociétés ont tout intérêt à faire la promotion de leur service et faire de la publicité autour.
Mais où est le problème ?
Le souci c’est que le marché a grandi et beaucoup trop rapidement, au point que cela a suscité la méfiance de plusieurs intervenants. Surtout qu’en creusant un peu dans le système, on tombe régulièrement sur les mêmes personnes, avec parfois des liens entre eux qui peuvent sembler un peu suspects. Karl Jobst résume cela en une phrase durant sa vidéo :
Il y a un groupe sélect de personnes très riches et très puissantes qui tirent les ficelles derrière cette récente hausse des prix des jeux vidéo et les mêmes personnes font de l’argent à tour de bras.
Et les exemples sont frappants, puisque le Super Mario Bros. vendu en 2019 a été acheté par Jim Halperin, fondateur et coprésident de Heritage Auctions, un collectionneur de pièces du nom de Rich Lecce, ainsi que Zac Gieg, propriétaire d’une boutique du nom de Just Press Play.
Cette vente a largement servi de tremplin à Wata Games, ainsi que son fondateur Deniz Khan, pour mettre en avant leur expertise d’évaluation. Alors que pourtant Wata Games a seulement été fondé en 2017. Tandis qu’il existe pourtant d’autres sociétés d’évaluation qui ont pignon sur rue et qui sont actives depuis des années, comme VGA.
Ce genre de conflits d’intérêt entre Heritage Auctions et Wata Games est cité à plusieurs reprises dans la vidéo de Karl Jobst. Un des plus marquants est ce qu’on nomme aujourd’hui comme la “Carolina Collection”. Qui était en fait la collection de Dain Anderson, connu comme un grand collectionneur de jeux Nintendo et scellés et créateur du forum NintendoAge. Ce dernier ayant longtemps été une source d’informations importante pour les collectionneurs.
Crédit image : Heritage Auction
En 2019, Dain Anderson a vendu son site et sa collection à Jeff Meyer, propriétaire de GoCollect et collectionneur de comics. L’intéressé s’étant rapidement empressé de faire évaluer la collection par Wata Games, puis à la mettre en vente sur Heritage Auctions. Le souci ? Et bien encore un conflit d’intérêt, puisque Jeff Meyer est un des directeurs de Wata Games. Alors que selon Deniz Khan, le président de Wata Games, les employés n’ont pas le droit d’avoir des jeux évalués par la compagnie ou de les vendre.
Et si on vous dit qu’en 2017, Dain Anderson était listé comme cadre supérieur de Wata Games ? Cela commence tout de suite à faire beaucoup de coïncidences. Surtout que Jeffer Meyer entre temps a fermé NintendoAge, tandis que GoCollect est aussi propriétaire de GameValueNow. Un autre site permettant de s’informer sur la valeur d’un jeu vidéo sur le marché. Depuis cette vidéo, Anderson affirme s’être dissocié de Wata Games en 2017, suite à un désaccord sur son rôle dans la société.
Une montée du marché complètement faussée
Les nombreux exemples de Karl Jobst sont parlants, mais en soi cela n’a rien d’illégal. Cependant le nom de Jim Halperin revient régulièrement sur la table quand on parle de cette montée des prix et de la bulle spéculative qui se crée autour des enchères de jeux vidéo. Cette personne ayant déjà sévi dans les années 70 autour de la bulle spéculative des pièces de monnaie, dont les ventes ont atteintes des sommes folles dans ces années-là.
Des sociétés d’évaluation ont été fondées à cette époque, permettant à des particuliers de faire évaluer leurs pièces et ainsi les vendre plus cher sur le marché. Créant alors une augmentation des prix durant un court laps de temps. Une bulle spéculative qui a fini par s’écrouler, mais qui au passage a permis à bon nombre de personne de s’enrichir.
Pour faire court, il s’en est suivi des procès contre des compagnies comme Heritage Capital Corp, qui augmentait intentionnellement les notes d’évaluations des pièces de monnaie. Ces sociétés ont été reconnues coupables et des noms comme Jim Halperin y ont été cité.
Comme le fait remarquer Jobst dans sa vidéo, rien ne permet d’affirmer que Halperin est en train de reproduire ce schéma sur la bulle spéculative qui entoure la collection de jeux vidéo scellés, mais il y a trop de coïncidence pour ne pas faire le rapprochement.
Surtout quand des soi-disant collectionneurs ne se cachent même pas, que l’achat de ces jeux est simplement un investissement. On se souvient de Eric Naierman, qui en 2019 a acheté une grosse collection de jeux NES scellés et que Heritage Auctions a vendu dans son communiqué comme étant un dentiste et collectionneur. Alors qu’en réalité, il a acheté ces jeux dans le cadre d’un fond d’investissement en partenariat avec d’autres personnes, qui se nomment eux même le “Video Game Club”.
Dans une entrevue vidéo, Naierman admet lui-même qu’il avait pour mission d’essayer de faire croître le marché de la spéculation sur les jeux rares et de créer d’importantes aubaines pour son groupe privé d’investisseurs.
Et tout le fond du problème est là, quand on met les informations bout à bout, tout est là pour montrer qu’il y aurait une montée artificielle des prix du marché. Avec des rumeurs et corroboré par un intervenant dans la vidéo citée, que les jeux vendus aux enchères sont parfois rachetés indirectement par le vendeur lui-même, afin d’augmenter le prix de son objet et créer un faux historique de ventes. Et comme Heritage Auctions anonymise à chaque fois le nom des vendeurs, cela est impossible à vérifier.
Les données ne sont jamais publiées
En plus de l’inconsistance dans les évaluations de Wata Games, ce qui est pointé du doigt c’est que la société se garde bien de communiquer sur le nombre de jeux qui ont été évalués et donc potentiellement disponibles sur le marché. Alors que pourtant, cela se fait dans d’autres domaines de collection.
Comme le souligne l’auteur et journaliste Seth Abramson, les personnes impliquées dans ce marché essaient de cacher les données. Suite à la sortie du documentaire sur Wata Games et Heritage Auctions, il a décidé de sortir une compilation de ses études sur le marché des jeux NES. Donnant lieu à la remarque que les maisons d’enchères ne veulent pas qu’on sache que les jeux qui rendent ces personnes riches, sont en réalité les jeux les plus disponibles sur le marché.
Crédit image : Heritage Auction
Wata Games a malencontreusement déclaré avoir évalué 750 Super Mario Bros. 3 depuis sa création en avril 2018, alors que Seth Abramson n’a pu retracer “que” 65 jeux scellés qui ont été introduits sur le marché depuis janvier 2019. Il faut enlever la part de jeux non scellés, mais cela laisse sous-entendre qu’une partie de ces jeux est encore dans les mains d’investisseurs et qu’ils sont mis sur le marché assez lentement afin de ne pas l’inonder. Car on sait depuis trois ou quatre ans que plusieurs intervenants dans cette pyramide spéculative, achètent systématiquement tous les jeux populaires et scellés qu’il est possible de trouver durant les événements ou salon rétrogaming.
Selon Seth Abramson, ces spéculateurs sont tout à fait au courant de la pratique et n’hésitent pas à acheter des jeux à 30 000 $US, pour ensuite les revendre à 40 ou 60 000 $US et cela jusqu’à ce que le marché s’effondre, lorsqu’il n’y aura plus assez d’acheteurs. En se cachant derrière le fait que ces jeux ont une signification historique, alors qu’en réalité c’est juste pour l’argent, et rien d’autre.
Suite à ces allégations, Wata Games n’a pas directement répondu, mais est passé par un service de relation publique afin de publier ce communiqué :
Wata Games est le leader de confiance dans l’évaluation des jeux vidéo de collection et nous sommes honorés de jouer un rôle clé dans cette industrie en plein essor, pour laquelle nous sommes incroyablement passionnés. Nous sommes honorés par le soutien de nos milliers de clients qui nous font confiance pour fournir une évaluation précise et transparente. Les affirmations de cette vidéo sont sans fondement et diffamatoires et il est malheureux que M. Jobst n’ait pas communiqué avec nous pour nous donner l’occasion de le corriger.
De son côté, Heritage Auctions soutient sensiblement le même discours :
Bien que Heritage entretient de solides relations avec Wata Games, ainsi qu’avec d’autres sociétés d’évaluation, l’évaluation et les activités de Wata sont entièrement indépendantes de Heritage Auctions ou de sa direction. Jim Halperin était en effet un des actionnaires minoritaires de Wata Games, grâce à sa fondation à but non lucratif qui finance des activités artistiques, éducatives et de santé.
Jim s’est départi de ses actions dans Wata Games plus tôt cette année lorsque cette société a été vendue. L’idée qu’Heritage était de connivence avec quelqu’un d’une manière ou d’une autre pour obtenir des résultats aux enchères est sans fondement et suppose à tort que les transactions sont fictives alors qu’elles sont en réalité bien réelles.
Heritage Auctions se targe également d’une grande transparence et que leurs archives d’enchères sont accessibles à tout le monde.
Encore une fois, le fond du problème n’est pas spécialement ces personnes richissimes qui spéculent sur des objets dont il n’ont pas grand-chose à faire. Lorsque la bulle du jeu vidéo explosera, et cela va arriver, ils passeront dans un autre domaine comme ils l’ont déjà fait auparavant. Le souci est surtout que cette pyramide de spéculation est propulsée indirectement par la pandémie, provoque une hausse d’un marché dans lequel s’engouffre tout un tas de petits collectionneurs qui pensent pouvoir se faire de l’argent facilement. Sauf que le retour à la réalité au moment de l’effondrement du marché risque de faire très mal, avec des collections achetées pour des milliers de dollars, qui risquent de ne valoir qu’une fraction de cette somme.