
Sauropod Studio : du conte de fées au cauchemar
C’est l’histoire d’un studio dont la vie a commencé comme un conte de fées et dont la fin ressemble à un cauchemar, et témoigne des faiblesses qui frappent cette industrie.
Il était un jour des développeurs qui firent une demande de financement sur Kickstarter pour Castle Story. Alors qu’ils espéraient modestement 60 000 $, c’est plus de 700 000 $ qu’ils récoltèrent. Grâce à ce pactole, le Fonds des médias du Canada (FMC) entra aussi dans la danse, aguiché et confiant grâce à la somme du financement sur Kickstarter. C’est ainsi que vit le jour Sauropod, et qu’elle engagea du personnel pour son premier jeu, Castle Story, qui demandera 6 ans de développement avant de pouvoir enfin sortir. Oui, 6 ans, le temps de développement d’un triple A. C’est là que commence le début du cauchemar pour la société.
Après quelque temps de développement, quelques problèmes légitimes survinrent. Par exemple, grâce au financement conséquent dont il bénéficiait, le studio décida de réaliser un jeu bien plus ambitieux. Pas un triple A, mais presque. Sauf qu’en cours de développement, le moteur n’était pas assez performant pour supporter tous ces ajouts et il a donc fallu reprendre le travail de code, ce qui a entraîné une bonne année de retard. C’est grave, mais cela peut arriver.
Sauf que d’après nos sources, les problèmes ont surtout découlé d’une gestion du studio typique de ce qui ne va parfois pas dans de nouveaux studios : le manque d’encadrement ou de conseils. Nous avons des personnes décrites à l’unanimité par leurs anciens employés comme brillantes et bourrées de talent et de bonnes intentions, mais qui n’étaient pas des gestionnaires et n’avaient pas les attitudes recherchées chez un directeur, comme savoir dire non quand il le faut.
La direction du studio est également montrée du doigt comme n’ayant aucune notion d’argent. Sauropod aurait survécu grâce aux autres prêts accordés par le FMC et les employés qui travaillaient fort. Les problèmes de gestion, y compris du personnel, ont été nombreux. Par exemple, Sauropod a fait appel à un spécialiste d’Ubisoft en animation. Le genre de spécialiste qui coûte très cher. Une fois son travail fini, une animatrice a été engagée à temps plein. Décrite comme très talentueuse, elle a cependant dû refaire les animations effectuées par le spécialiste d’Ubisoft, plutôt que de continuer son travail qui était pourtant réussi. Là encore, cela a engendré plusieurs mois de retard.
D’autres décisions n’avaient aucun sens, comme engager une société qui aurait facturé entre 10 000 et 30 000 $ pour une vidéo de présentation qui aurait pu être faite à l’interne; Montréal ne manque pas de talents dans la réalisation. Bref, la direction n’avait pas, selon ses employés, de notion d’argent et de comment l’investir, en plus d’un manque de vision. En témoignent les quatre game designers qui se sont succédé en un an sur le deuxième jeu de l’entreprise. Si la société n’est pas morte, elle survit actuellement avec trois employés, mais rapporte encore 15 000 $ par mois grâce à Castle Story.
On peut bien blâmer les fondateurs du studio de ne pas avoir su gérer, mais qui leur a appris à gérer? Ce n’est pas tout le monde qui sait réellement le faire. Il est facile de jouer le patron et de prendre des décisions si on a un assez gros montant d’argent pour payer des employés. Ils ne vont pas vous dire que vous vous plantez en face. Mais lorsque vous sortez à peine de votre école et d’une job alimentaire pour vous retrouver patron et brasser des centaines de milliers de dollars du jour au lendemain, il y a parfois du monde qu’il faut encadrer. C’est peut-être ce qui manque encore à l’industrie québécoise. Pourtant, la Guilde des développeurs de jeux vidéo indépendants du Québec propose déjà ce genre d’initiative et donne des conseils pour développer sa société ou gérer les périodes de développement. De même, le FMC commence lui aussi à mettre en place des formations portant sur la tenue d’un budget, et joints par téléphone, ils nous assuré contrôler qui était engagé avant de donner un avis sur l’octroi de crédits.
D’autre part, les multiples prêts accordés par le FMC (mais octroyés en réalité par Téléfilm Canada, le FMC est un intermédiaire pour les prêts) ont permis de maintenir à flot cette société, le FMC semblant plutôt être dans une logique du « too big to fail ». Les 700 000$ de Kickstarter ont aidé à convaincre d’abord, puis l’argent investi ensuite a servi de prétexte à en investir plus. Chose totalement compréhensible, mais sans garantie ou véritable partenariat, cela réduit finalement le FMC à un banquier, mais d’état et sans véritable accompagnement.
Si de gros studios comme Ubisoft et Eidos sont là depuis longtemps, c’est parce que se sont succédé à leur tête des gens qui savent monter et gérer un studio. Même chose pour les petits studios québécois devenus grands comme Frima, Beenox ou encore Compulsion Games : leurs créateurs savent gérer, mais ce don n’est pas accordé à tout le monde, et aider les studios autrement qu’en accordant des prêts, mais avec un véritable suivi assuré par des professionnels du jeu serait également bénéfique à l’industrie québécoise et permettrait de limiter ce genre d’histoire.